Ce n’est pas sans une profonde émotion que j’ai quitté la prison de Rebeuss après ma visite à Badara Gadiaga. Une fois les formalités administratives, froides et impersonnelles, derrière moi, j’ai traversé cette cour qui sépare le monde dit « libre » de celui de la détention. Mais en arrivant aux parloirs, une vérité saisissante m’a frappé : j’avais l’impression d’avoir quitté une détention à ciel ouvert pour aller à la rencontre d’un homme libre à Rebeuss.
 
Le fils de mon ami, feu Bathie Gadiaga, est resté cet homme à la droiture intacte, à la dignité inébranlable. Dans son regard, nulle trace de résignation, mais la flamme d’une conviction qui ne saurait être emprisonnée. Son corps est derrière les barreaux, mais son esprit, lui, vole au-dessus des murs de l’injustice. Il est le symbole vivant de cette vérité que les tyrans peinent à comprendre : on n’enferme pas une idée, on n’incarcère pas des principes.
 
Le cas de Badara, comme celui d’Abdou Nguer et de tant d’autres détenus d’opinion, n’est pas une simple affaire judiciaire. C’est le symptôme d’une République qui doute, d’une démocratie qui s’étiole. Leur incarcération est un miroir tendu à notre société : il nous renvoie l’image de nos propres libertés menacées. Chaque jour qu’ils passent en détention est une mise en accusation, non pas d’eux-mêmes, mais du système qui les y a conduits. Car le combat pour les libertés et l’État de droit nécessite des sacrifices, et leur privation de liberté est l’un de ces sacrifices douloureux qui doivent irriguer notre conscience collective.
 
Lorsque l’État se méfie de ses citoyens au point de les priver de liberté pour un mot, une opinion ou un engagement, c’est la République elle-même qui est emprisonnée. La démocratie ne se résume pas à l’organisation d’élections à échéances régulières. Elle est, avant tout, un espace de débat, de confrontation d’idées, de critique du pouvoir. Quand cet espace se rétrécit, quand la peur de s’exprimer s’installe, la nation tout entière devient une prison dont les murs, invisibles, sont faits d’autocensure et de renoncement.
 
C’est là que réside le plus grand danger. Car, et je le dis avec force, il ne faut jamais confondre un peuple silencieux avec un peuple qui se tait. Le silence du peuple sénégalais n’est pas un chèque en blanc. C’est le silence de l’observation, de l’accumulation, de la patience qui précède la lame de fond. C’est une force tranquille qui peut, à tout moment, se transformer en une vague irrésistible.
 
Face à cette érosion de nos acquis démocratiques, l’indignation ne suffit plus. L’heure n’est plus aux constats amers, mais à l’action concertée. C’est le sens de l’appel « Takk Jog » que j’ai lancé : un appel à se lever, à se tenir debout. Il s’agit de bâtir un front républicain, large et uni, qui transcende les clivages partisans et les ambitions personnelles. Un front dont le ciment serait une plateforme minimale mais non négociable : la préservation de nos libertés fondamentales et la restauration de l’État de droit.
 
Nous devons exiger la libération de tous les détenus politiques. Nous devons défendre la liberté de la presse, le droit de manifester, et l’indépendance de la justice. Ce n’est pas une lutte pour un camp contre un autre ; c’est une lutte pour le Sénégal lui-même, pour l’âme de notre République.
 
La dignité de Badara Gadiaga à Rebeuss est une leçon et un appel. Elle nous enseigne que même dans l’adversité la plus sombre, les principes nous gardent libres. Elle nous appelle à être dignes de son sacrifice, et de celui de tous les autres. Il est temps de transformer notre silence en une force agissante, notre indignation en un projet commun. Il est temps de nous lever, ensemble, pour la République.
 
Talla Sylla
Président de Jëf Jël / Jàmm ak Naatange

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