L’agronome sénégalais feu Moussa Seck, originaire du village de Dagga dans la commune de Diass, affirmait que « l’Afrique peut, géographiquement, contenir à la fois les États-Unis, l’Union européenne, la Chine, l’Inde et le Japon ». Cette vérité, en filigrane, sonne comme une invite à davantage d’orgueil et de conscience pour ce continent berceau de l’humanité. Par la science, l’éminence grise qu’il fut a démontré que l’Afrique pouvait se nourrir elle-même… et nourrir le monde.

C’est dire que, par une introversion intelligente, planifiée et organisée, l’Afrique pourrait non seulement survivre à une guerre mondiale de grande ampleur, mais aussi prétendre à une prospérité digne d’une superpuissance. Alors, où se situe réellement le problème ?

Un simple détour à Bissau suffirait pour constater l’abondance en poisson, riz, noix de cajou et autres produits vitaux dans ce beau pays, dont le décollage semble empêché par une instabilité institutionnelle chronique, perceptible jusque dans la désinvolture ambiante, par exemple au Ceiba Hôtel, oasis en pleine incertitude.

Un même détour au Burkina Faso permettrait de voir, au-delà de l’or, du manganèse et du zinc, que dans ce pays des Hommes intègres où le coton local habille encore dignement les citoyens, l’on cultive proprement mil, fonio, maïs, riz et toute une variété de légumineuses. Hélas, ce pays affronte, souvent avec plus de défaites que de victoires, un terrorisme importé. Il en est de même pour le Mali et le Niger, également pris dans l’engrenage de guerres fomentées de l’extérieur, malgré leurs ressources agricoles et minières considérables.

Ce qui se passe en Afrique de l’Ouest reflète un quotidien largement partagé sur le continent. Et le silence apparent des armes, bombes ou kalachnikovs n’empêche nullement les formes de pillage systématique des ressources africaines vers des horizons lointains.

Cette Afrique en guerre, qui subit de plein fouet les conséquences des déstabilisations mondiales, même lorsqu’elle affiche une posture de neutralité ou de non-alignement, peut-elle continuer à se cacher derrière son petit doigt ?

Dans le contexte actuel d’un monde en folie guerrière, de l’Iran frappé avec l’implication assumée des États-Unis à la Chine qui se prépare pour l’absorption de Taïwan, la vérité du savant Moussa Seck devrait pousser les dirigeants atones de l’Union africaine à sortir de leur mutisme pour entrer dans une posture d’anticipation et de pragmatisme.

Oui, le monde est vaste, structuré en grandes nations ou blocs. Mais l’Afrique n’est pas petite. Il faut se rendre à l’évidence : le monde est en guerre. Et il s’oriente, hélas, vers une grande guerre globale, masquée sous des prétextes civilisationnels mais motivée par la recherche égoïste du bien-être d’un camp au détriment de l’autre, perçu non plus comme étranger, mais comme menaçant. Le monde ne semble pas prêt à accepter que l’Afrique prenne une part d’égale dignité au festin.

La Russie frappe en Ukraine, les États-Unis frappent en Iran, et la Chine muscle sa stratégie sur Taïwan. Dans une logique de dissuasion à trois, les superpuissances semblent se préparer à franchir un jour le Rubicon d’une confrontation que tout désigne comme inévitable.

Que fera l’Afrique lorsque la planète plongera dans un enchevêtrement de conflits : Iran contre Israël, Russie contre Ukraine, Inde contre Pakistan, groupes terroristes contre États ouest-africains ? Que fera-t-elle lorsque les guerres annoncées entre Chine et Taïwan ou entre les deux Corée éclateront ? Lorsque les USA et la Chine franchiront la ligne rouge de la guerre directe, entraînant dans leur sillage tous leurs alliés ?

Et que fait l’Afrique face à la montée d’un nationalisme xénophobe électoralement légitimé en Occident, où l’agenda d’exclusion s’apparente de plus en plus aux dérives hitlériennes ? Rappelons que Hitler, aux débuts de son ascension, avait conquis le pouvoir par les urnes, porté par un discours nationaliste doux-amer. L’oubli de cette leçon historique pourrait être fatal.

Aujourd’hui, la vraie question est : l’Afrique peut-elle survivre à la brutalité d’une rupture totale des chaînes logistiques d’un monde hyper-interdépendant ? A-t-elle dressé ne serait-ce qu’un inventaire de ses vulnérabilités, au cas où chaque pays se replierait sur soi (ce que préparent activement les pyromanes géostratégiques d’aujourd’hui) ?

Les nationalismes (qu’ils soient d’Occident ou d’Orient) devraient déjà alerter l’Afrique sur ses dépendances critiques. Une analyse froide suffit pour constater que, derrière les pratiques discriminatoires anodines comme la délivrance rigide de visas, se cache une diplomatie sélective dans un multilatéralisme asymétrique, exclusivement au service d’intérêts particuliers. Le chaos, pour les pyromanes du monde, est souvent un mécanisme de relance économique. La guerre, comme la maladie, fait vivre l’industrie qui la soigne : l’industrie militaire mondiale a atteint 2 718 milliards de dollars en 2024, soit 242 fois le budget du Sénégal de 2025.

Au moment où les grandes puissances, par procuration ou directement, attisent les conflits, il est urgent d’organiser, sous l’égide de l’Union africaine, une grande conférence continentale. Objectif : construire un scénario de résilience et de développement endogène en cas de guerre mondiale généralisée.
Cette rencontre devrait réunir, en plus des chefs d’État, les patrons des armées africaines, ainsi que les ministres et experts en santé, agriculture, industrie, numérique, transport et logistique.

En s’appuyant sur les acquis de la ZLECAF, il s’agira de répertorier, au niveau de chaque pays et des huit ensembles régionaux (UMA, CEEAC, SADC, CEDEAO, IGAD, COMESA, CEN-SAD, CAE), tous les points de dépendance extérieure, afin d’établir une matrice d’échanges intra-africains pouvant fonctionner en autarcie relative lorsque surviendra le chaos.

L’Union africaine doit dépasser les incantations pour valider une stratégie d’introversion continentale comme socle de la superpuissance africaine.

Si l’Afrique n’adopte pas une logique claire et collective de puissance, elle restera un géant géographique sous tutelle économique, alors même que, comme le rappelait feu Moussa Seck, elle contient dans ses entrailles l’équivalent des plus grandes puissances mondiales réunies.

L’Afrique, mise à part la dimension morale et symbolique de rappel des principes de paix, doit saisir cette période de chaos prévisible pour engager sans retour l’introversion de ses économies, de sa défense et de ses chaînes logistiques. Il ne s’agit plus de vœux pieux, mais d’un impératif d’action : développer une complémentarité entre économies africaines, commercer entre africains avec des produits faits en Afrique, transportés à l’aide d’infrastructures africaines, avec sur toute les chaînes de valeur une main-d’œuvre africaine.

Ce scénario d’introversion est réaliste à l’horizon d’une décennie. Comme le disait le Président ghanéen Kwame Nkrumah : « Il est clair que nous devons trouver une solution africaine à nos problèmes, et qu’elle ne peut être trouvée que dans l’unité africaine. Divisés, nous sommes faibles ; unie, l’Afrique pourra devenir l’une des plus grandes forces de ce monde. »

Il ne s’agit plus d’une Union africaine lyrique, nostalgique ou alignée sur un non-alignement stérile. Il faut parler économie avec lucidité, agir pour le développement endogène, et bâtir la superpuissance économique africaine comme gage de souveraineté, de respect, et de dignité dans les rapports internationaux.

Oui ! il est temps que l’Afrique passe d’une zone d’influence à un pôle de puissance car elle a longtemps été cantonnée au rôle de zone d’influence, convoitée par les grandes puissances pour ses ressources, ses marchés ou sa position stratégique, sans jamais peser véritablement dans les décisions mondiales.

Cette marginalisation géopolitique, héritée du passé colonial et perpétuée par des logiques d’ingérence, maintient le continent dans une posture de dépendance. Pourtant, face à un monde en mutation marqué par des crises systémiques, des conflits majeurs et une reconfiguration des équilibres, l’Afrique a aujourd’hui l’opportunité de rompre progressivement avec ce statut périphérique pour devenir un pôle de puissance à part entière. Pour cela, elle doit miser sur l’intégration régionale, la souveraineté économique, la transformation industrielle, la sécurité collective et la réappropriation de son récit.

Passer de zone d’influence à pôle de puissance, c’est ne plus subir l’histoire, mais la faire en réalité plus qu’en paroles, en construisant une Afrique forte, solidaire et stratège, capable de se faire respecter et de peser dans le concert des nations.

Mamadou NDIONE
Économiste – Écrivain
Maire de Diass
Président du parti BEUG SÉNÉGAL

Lire l'article original ici.

Partager.

Toute l'actualité sur le Sénégal en temps réel. 7j/7

© 2025 Le Republique. Tous droits réservés. Réalisé par NewsBlock.
Exit mobile version