Redressement Economique : La note critique d’Abdoulaye Wilane du Parti Socialiste
Note critique du plan « Jubbanti Koom » du gouvernement PASTEF
Le Premier ministre Ousmane Sonko a récemment présenté son plan de redressement économique et social, baptisé « Jubbanti Koom ». Ce plan, qui se veut ambitieux et porteur de rupture, affiche l’objectif de transformer le Sénégal sur plusieurs fronts. Mais à y regarder de plus près, de nombreuses zones d’ombre subsistent : manque de cadrage économique, opacité budgétaire, mesures fiscales à effet régressif, désengagement vis-à-vis des collectivités locales, et isolement croissant du pays.
1. Une transformation annoncée, mais sans base économique solide
Le plan évoque une dépense de 5 667 milliards FCFA sur trois ans. Or, aucune projection de croissance, d’inflation ou de pression fiscale n’est fournie pour étayer cette orientation. Le DPBEP 2025-2027, à titre de comparaison, projette une croissance de 9,7 % en 2025 et un déficit ramené à 3 % du PIB. Le plan Jubbanti Koom, lui, avance des chiffres sans scénario macroéconomique clair. Pire encore : à lui seul, ce plan représente 38 % du budget cumulé sur trois ans, alors que le budget de l’État pour 2025 est estimé à 4 900 milliards FCFA. Un tel niveau de dépense exigerait une transparence maximale, des priorités claires et une méthode rigoureuse. Ce n’est pas le cas.
2. Un financement flou et risqué
Le gouvernement mise sur des ressources endogènes, le recyclage d’actifs publics (en conservant la propriété de l’État), et des financements innovants comme les obligations vertes ou la finance islamique. Mais aucun chiffrage précis n’est fourni par levier. Quels actifs seront mobilisés ? Ports ? Centrales ? Aéroports ? Pour quelle durée ? À quelles conditions ? Même sans vente directe, le citoyen mérite de savoir ce que l’État confiera à des opérateurs privés, et selon quels critères. L’appel à l’épargne publique, sans garanties solides ni incitations claires, pourrait fragiliser le système bancaire. Et aucune articulation avec les contraintes du FMI ou de l’UEMOA n’est précisée.
3. Des mesures fiscales qui pénalisent les plus fragiles
Le plan prévoit de collecter 447,6 milliards FCFA via de nouvelles taxes. Mais celles-ci ciblent surtout les classes moyennes, les agriculteurs, les jeunes, les petites entreprises :
Mesure fiscale
Montant attendu
Conséquences concrètes
✓ Hausse taxe tabac (70% → 100%)
+100 Mds FCFA
❌ Risque de marché noir, perte de revenus pour les petits vendeurs.
✓ Taxe importation téléphones
+244,8 Mds FCFA
❌ Hausse du prix des smartphones → frein à la digitalisation, fracture numérique accrue, impact sur les jeunes, élèves, télétravailleurs. « Cela signifie que le prix d’un téléphone basique ou reconditionné pourrait augmenter de 15 000 à 30 000 FCFA. Pour un étudiant ou un jeune entrepreneur, s’équiper devient un luxe. »
✓ Réajustement des droits sur véhicules usagés
+39 Mds FCFA
❌ Accroissement du parc vétuste → plus de pollution, accidents, coûts d’entretien, insécurité routière ;
❌ Infrastructures routières insuffisantes pour absorber ce flux. « En pratique, cela encouragera l’importation de voitures plus vieilles, plus polluantes, plus dangereuses. C’est un peu comme si l’État poussait les gens à acheter des épaves faute de pouvoir se payer mieux. »
✓ Droits d’accises sur camions, bus
+21 Mds FCFA
❌ Hausse du coût du transport logistique et de personnes → inflation indirecte sur les denrées, réduction du pouvoir d’achat. « Cela se traduira par une augmentation du prix du transport de marchandises… et donc du prix de l’oignon, du riz ou du pain au marché. »
✓ Droits de sortie arachide & cajou
+42,8 Mds FCFA
❌ Baisse du revenu des producteurs → désincitation à produire, affaiblissement de la compétitivité agricole sénégalaise face à la Côte d’Ivoire ;
❌ Pauvreté rurale accentuée. « Moins d’argent dans la poche des paysans, c’est moins d’enfants envoyés à l’école, moins de soins, moins de revenus dans les zones rurales déjà fragiles. »
4. Un isolement préoccupant à l’international
Le plan passe sous silence les relations avec les partenaires techniques et financiers comme le FMI, la Banque mondiale ou l’UEMOA. Or, ces institutions sont centrales pour garantir la soutenabilité budgétaire, l’accès aux prêts concessionnels ou la stabilité du franc CFA. Ce repli fragilise la crédibilité du Sénégal sur les marchés et risque d’alourdir nos conditions d’emprunt à l’avenir.
5. Une recentralisation technocratique inquiétante
Aucune place n’est accordée aux collectivités locales dans la mise en œuvre du plan. Pas de transfert de compétences, pas de cofinancement, pas de dialogue structuré. Tout est recentré à Dakar. Pourtant, ce sont les communes qui gèrent les écoles, les routes, les dispensaires. Le plan ne prévoit ni indicateurs de performance, ni calendrier précis, ni mécanisme de contrôle citoyen ou parlementaire. Même les suppressions de postes évoquées dans la fonction publique ne sont accompagnées d’aucune mesure de reclassement.
Conclusion
Derrière la communication, le plan Jubbanti Koom reste un document d’intentions. Sans base économique sérieuse, sans stratégie de financement crédible, sans vision partagée. Ce plan risque de creuser les inégalités, de fragiliser la confiance des citoyens et de rompre avec les équilibres macroéconomiques qui ont permis au Sénégal de résister jusque-là aux chocs extérieurs.
Il s’agit en réalité d’un agenda fiscal maquillé en plan de redressement, d’effets d’annonce et de réformes structurelles non calibrées, sans cadrage économique, ni diagnostic partagé. Plus qu’un redressement, c’est un changement d’orientation politique brutal, sans boussole économique.
Un plan de redressement est, par définition, un ensemble cohérent de mesures urgentes, ciblées, temporaires et correctrices, destiné à :
• stabiliser une situation économique dégradée ;
• restaurer la confiance (budgétaire, sociale, financière) ;
• redresser les fondamentaux économiques (production, emploi, finances publiques).
Or, ce que propose « Jubbanti Koom » :
• ne repose ni sur un diagnostic sérieux, ni sur une trajectoire de sortie de crise ;
• mélange des ambitions de long terme (transformation, rupture) avec des mesures ponctuelles improvisées ou fiscales punitives ;
• comporte des décisions qui aggravent certains déséquilibres (vieillissement du parc automobile, découragement de l’épargne, isolement international, recentralisation…).
Nos recommandations pour un redressement juste, crédible et durable
1. Protéger les couches vulnérables
➤ Supprimer ou suspendre immédiatement les mesures fiscales régressives affectant les ménages modestes, les agriculteurs et les petits opérateurs économiques, notamment la hausse des taxes sur les téléphones, les véhicules d’occasion et les produits agricoles.
2. Clarifier le cadrage macroéconomique
➤ Publier un cadrage économique détaillé (PIB, inflation, dette, solde budgétaire, pression fiscale), avec des hypothèses réalistes et compatibles avec les engagements communautaires (UEMOA) et internationaux (FMI).
3. Organiser un Dialogue national économique et budgétaire
➤ Associer les collectivités territoriales, les partenaires sociaux, les organisations de la société civile, le secteur privé, les parlementaires et les bailleurs à la construction d’un plan alternatif, réaliste et inclusif.
4. Instaurer des mécanismes de suivi et de redevabilité
➤ Mettre en place un cadre clair de pilotage du plan avec des indicateurs de performance, un calendrier d’exécution, un reporting public trimestriel et un comité de suivi indépendant incluant des représentants citoyens.
5. Renforcer la transparence sur les actifs publics mobilisés
➤ Publier la liste précise des actifs visés par le recyclage ou les baux publics, les conditions contractuelles envisagées, et instaurer un contrôle parlementaire et citoyen renforcé pour éviter tout détournement ou privatisation déguisée.
6. Accompagner socialement la réforme de l’administration
➤ En cas de réorganisation ou de compression, garantir un plan de reconversion, de formation et de reclassement pour tous les agents publics concernés, dans un esprit de justice et de dialogue social.
Le redressement du Sénégal ne peut pas se faire à coups de taxes, mais par la justice sociale, la transparence et la concertation. Nous devons construire, ensemble, une alternative solide et inclusive.
Abdoylaye_Wilane Parti Socialiste (PS)
Senegal7
Lire l'article original ici.