Dans leur « Tribune du jeudi », les anciens parlementaires, Cheikh Oumar Sy et Théodore Chérif Monteil ont épilogué sur la cybersécurité.
Texte in extenso
Nous venons de parcourir un communiqué de la Direction Générale des Impôts et des Domaines (DGID), reconnaissant enfin qu’il y a un problème au niveau de leur système informatique. Pourquoi seulement maintenant, alors que depuis plusieurs jours il se susurre que des pirates informatiques auraient pris le contrôle de toute l’infrastructure informatique de ce service hautement critique pour le pays. Peut-être parce que des journaux étrangers ont commencé à en parler. Pourtant plusieurs alertes ont été faites par des citoyens sénégalais mais sans aucune réaction au niveau de l’état. D’après une publication de SikaFinance, une rançon de 10 millions d’euro serait réclamée par les malveillants pirates.
Nous attendons un autre communiqué qui devrait cette fois venir de la Division Spéciale de la Cyber sécurité, nous disant qu’elle était trop occupée à enquêter et à arrêter Bachir Fofana, Abdou Nguer, Moustapha Diakhaté, Badara Gadiaga et d’autres, et n’avait pas le temps de s’occuper de sa vraie mission : « Protéger les systèmes informatiques et prévenir contre les attaques dont vient d’être victime le cœur de notre système financier »
A l’heure où les sociétés africaines s’ouvrent pleinement au numérique, la cybersécurité devrait être un pilier de souveraineté, de protection des citoyens et de résilience technologique. Pourtant, au Sénégal, une confusion inquiétante s’installe : la Division Spéciale chargée de la cybersécurité semble avoir troqué ses pares-feux contre des convocations, ses algorithmes contre des interrogatoires.
Une mission technique devenue politique
La cybersécurité, dans sa définition universelle, consiste à protéger les systèmes informatiques, les réseaux et les données contre les attaques malveillantes. Mais au Sénégal, cette mission semble s’être transformée en un outil de surveillance des opinions. Les réseaux sociaux sont devenus le terrain d’intervention principal. Un tweet critique, une vidéo satirique, une chronique politique : tout peut désormais valoir une convocation.
Activistes, journalistes, artistes, politiciens, tous sont potentiellement ciblés. Ce n’est plus de cybersécurité qu’il s’agit, mais de cyber-surveillance. Une dérive qui brouille les rôles et affaiblit la confiance citoyenne.
Pendant ce temps, les institutions sont attaquées
Selon une étude publiée en 2024 dans The African Journal of Information and Communication, le Sénégal a connu 26 incidents cybernétiques entre 2005 et 2023, avec une nette augmentation ces dernières années. Les attaques les plus fréquentes sont les compromissions de sites web et les cybercrimes, visant aussi bien des institutions politiques que des entités privées.
En 2022, l’ARTP (Autorité de Régulation des Télécommunications et des Postes) a été victime d’une attaque du groupe de ransomwares Karakurt, qui a divulgué des données sensibles. Ces menaces sont réelles, complexes, et souvent transnationales. Pourtant, elles semblent reléguées au second plan.
Une dérive juridique et démocratique
Convoquer un citoyen pour ses opinions exprimées en ligne, en dehors de tout appel à la haine ou à la violence, constitue une atteinte aux libertés fondamentales. La liberté d’expression est garantie par la Constitution sénégalaise et par la Convention de Malabo sur la cybersécurité et la protection des données personnelles, ratifiée par plusieurs États africains.
La cybersécurité ne peut devenir un prétexte pour museler les voix dissidentes. Elle doit être technique, non idéologique. Préventive, non punitive.
Il serait important de repenser la cybersécurité selon une approche citoyenne. Le Sénégal a besoin d’une cybersécurité moderne, compétente, et respectueuse des libertés. Cela implique : La formation d’experts en sécurité informatique, la mise en place de protocoles de réponse aux incidents, la protection des données personnelles, la transparence dans les actions de surveillance, et surtout, une séparation claire entre sécurité numérique et contrôle politique.
La souveraineté numérique ne se construit pas sur la peur, mais sur la confiance. Elle exige des institutions fortes, des citoyens libres, et une technologie au service du bien commun.
Birama Thior – Senegal7
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