Publié le 30 avril 2025
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Sûrs de leur fait, assurés de jouir d’une certaine impunité malgré le recours excessif au mensonge pour manipuler les opinions publiques, conscients de la tendance des masses africaines à épouser les querelles de circonstances des autres, ce qui leur permet d’amplifier artificiellement certains griefs légitimes adressés aux anciennes puissances coloniales, les anti-impérialistes autoproclamés ne se lassent pas d’encenser la Russie, présentée comme l’héritière naturelle et légitime de l’ex-Union soviétique.
Ces néopanafricanistes n’ont sans doute jamais entendu parler du refus de Joseph Staline de soutenir les mouvements de libération continentale et de ses manœuvres pour faire échec à l’insurrection panafricaine. Faut-il le souligner, à partir de 1945, les leaders anticoloniaux d’Afrique avaient formulé en commun le projet d’une libération continentale. Qu’il s’agisse du congrès fondateur du Rassemblement démocratique africain (RDA), qui a réuni à Bamako, en 1945, les délégués des mouvements d’Afrique francophone, et jeté les bases de la création d’un front continental de libération. Qu’il s’agisse du cinquième congrès panafricain de Manchester, tenu la même année sous la présidence de Jomo Kenyatta, avec l’assistance de Kwameh Nkrumah, qui a élaboré un programme précis pour le déclenchement de la lutte de libération panafricaine.
Pour Staline, le colonialisme est un épiphénomène
Contrairement à la légende répandue par la propagande pro-russe, l’ancien rapporteur de l’ONU pour le droit à l’alimentation, Jean Ziegler, impute à Joseph Staline l’échec de ces deux initiatives politiques et explique que l’une des principales raisons de l’actuel morcellement de l’Afrique est la trahison par ce dernier des principes exigeants de l’internationalisme prolétarien et de la révolution mondiale de toutes les classes et peuples dominés.
« Au VIe congrès du Komintern [Moscou, 1928], Staline fit triompher une thèse rigide et dogmatique assimilant la volonté de libération des révolutionnaires africains à une attitude contre-révolutionnaire. Pour Staline, le colonialisme n’est qu’un épiphénomène. La construction de l’État soviétique, bastion national d’une révolution qui s’étendra – entre autres – par les moyens de l’État, doit bénéficier d’une priorité absolue. Le colonialisme et l’impérialisme étant des prolongements nécessaires de la société capitaliste, il suffit de lutter pour l’écroulement de cette société. Le triomphe de la Révolution prolétarienne dans les États d’Europe occidentale fera disparaître ipso facto la domination coloniale sur l’Afrique, l’Asie et l’Amérique latine. Conséquente avec elle-même, la majorité du bureau de la IIIe Internationale refusa de favoriser la lutte armée sur le territoire africain », écrit l’auteur suisse dans son essai Main basse sur l’Afrique, paru en 1980.
Poutine, héritier d’un passé mythifié
Sans nier l’existence d’un grand nombre de causes secondaires pouvant expliquer le sabotage du projet de Bamako et l’éclatement du front anticolonial, notamment le refus obstiné du président du RDA, Félix Houphouët-Boigny, de s’aligner sur les revendications d’indépendance de la fédération des étudiants du parti, conduite par Cheikh Anta Diop, il reste que le tournant théorique de Joseph Staline, développé en 1931 dans Le Marxisme et la Question nationale et coloniale, aura porté un coup fatal au projet d’insurrection panafricaine, donc à la libération continentale. Si, comme ses défenseurs nous l’expliquent à longueur de discours, la Russie est l’incarnation de l’ex-Union soviétique et que Vladimir Poutine est l’héritier de ce passé mythifié, son soutien à la libération du continent sous la domination occidentale ressemble plus à un leurre, une chimère, voire un numéro de prestidigitation.
Hélas, il se trouve suffisamment d’Africains assez naïfs pour penser avoir trouvé en Vladimir Poutine un allié de taille contre l’exploitation de l’Afrique par les Occidentaux. Ils sont encore trop nombreux, ceux qui, au sein de l’intelligentsia africaine, donnent foi aux balivernes des individus qui prétendent libérer l’Afrique du joug néocolonial, alors même que ces supposés libérateurs cherchent eux aussi à dominer le continent. Pour la simple et bonne raison que nul ne vient relever une nation qui s’abandonne si ce n’est pour la mettre à son service. En définitive, l’ultranationalisme n’a jamais été, n’est pas, et ne sera jamais l’allié de la libération des peuples africains parce que cette libération, comme l’a souligné si justement le professeur Jean-François Akandji-Kombé, repose sur un principe que cette idéologie combattra toujours : l’égalité entre les êtres humains.
En revanche, il est important d’indiquer que ce rappel historique du rôle néfaste joué par Joseph Staline dans la marche du continent vers la libération ne signifie pas pour autant que la réalité des crimes imputables aux Occidentaux en Afrique est niée ou que l’auteur de ces lignes serait plus enclin à accepter l’arrogance et l’interventionnisme de ces derniers dans les pays africains. L’exploitation de certains pays africains par les puissances occidentales existe bien et doit être combattue comme telle. Mais, outre qu’elle n’est ce qu’elle est que grâce aux collusions locales qu’il faut aussi combattre, les Africains doivent mener la lutte de libération et la gagner eux-mêmes.
Adrien Poussou est l’auteur de L’Afrique n’a pas besoin de Poutine (L’Harmattan, 2022)
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