La manière burlesque avec laquelle est mise en œuvre notre diplomatie depuis avril 2024 ne doit jamais nous faire perdre de vue l’essentiel, à savoir le rétrécissement de la surface du Sénégal sur la scène internationale. Le Président Macky Sall a été l’héritier d’une belle tradition diplomatique maintenue malgré les changements de régime. Senghor a tracé la voie d’une diplomatie ambitieuse, dont la volonté était de faire entendre la voix du Sénégal partout où les choses du monde se discutaient. Abdou Diouf, malgré le corset des ajustements structurels, a maintenu la trajectoire diplomatique de notre pays. Abdoulaye Wade a rapproché le jadis si lointain Orient et diversifié les partenariats avec cette partie du monde dans le cadre d’un nouveau souffle économique de notre diplomatie. Macky Sall a fait de notre avantage comparatif en matière de paix et de stabilité un socle à partir duquel il a bâti une diplomatie conquérante, relevant le défi de faire du Sénégal, en Afrique, un vrai soft power. La politique étrangère sous Macky Sall a été notamment incarnée par la volonté de réchauffement des relations avec nos voisins de la ceinture de feu, ceci afin de pacifier définitivement la situation en Casamance. Il a également, dans son deuxième mandat, décliné et mis en œuvre son concept de multilatéralisme inclusif. L’idée était d’imposer le Sénégal comme un hub phare au sein de l’espace qu’on appelle désormais le Sud global, dans la nouvelle configuration géopolitique internationale.
Quelle est la ligne directrice du régime actuel en matière de politique étrangère ? . L’absence de vision stratégique, de talent intrinsèque, de carnet d’adresses et de profondeur historique et intellectuelle génère au sein de l’Exécutif une posture d’effacement d’un côté et d’agitation de l’autre. La diplomatie, qui est traditionnellement l’arme la plus puissante de notre pays pour asseoir son leadership africain et sa position de pays pivot pour les puissances industrialisées, oscille désormais entre imprévisibilité, vulgarité et médiocrité. Les sarcasmes et les moqueries que les sorties des responsables du régime provoquent en interne comme à l’étranger sont très gênantes pour quiconque a le souci de notre pays et de son prestige. Un ambassadeur africain me disait récemment, dépité et en même temps gouailleur, « Le Sénégal n’a pas habitué ses partenaires à tant d’amateurisme ». Sur un sujet régalien et vital pour la souveraineté et la sécurité nationale, ce régime, en quelques semaines, a réalisé la prouesse de faire l’unanimité sur ses faibles capacités.
Revenons sur deux récentes actualités. D’abord, le sujet agité à propos d’une potentielle candidature du Président Macky Sall au poste de Secrétaire général de l’ONU. A vrai dire, il n’y a aucune déclaration officielle de l’intéressé. Aucun acte sérieux n’a été posé dans ce sens par son entourage. Aucune capitale dans le monde n’a émis ou ne serait-ce que suggéré l’idée. Mais se basant uniquement sur des conjectures et des publications sur les réseaux sociaux, elles-mêmes découlant d’une reprise hasardeuse d’un article, les harpies et autres zélés du régime ont montré leur absence de tenue, de classe et de décence ; ils ont versé, une nouvelle fois, dans les propos oiseux. Cette consternante mais constante agitation vulgaire, qui est le seul domaine dans lequel ils excellent justifie le peu d’intérêt qu’il faut accorder à ces individus dont la haine est le carburant quotidien.
Plutôt que d’avoir l’injure facile et le verbe pauvre, il était attendu d’eux et surtout d’elles une véritable hardiesse dans la promotion de la candidature de notre compatriote Amadou Hott à la Banque africaine de Développement. Son échec, et surtout son score devraient interpeller tout citoyen soucieux de la place du Sénégal sur la scène africaine. En effet, seuls deux États ont voté pour M. Hott ; le Nigéria, pays de son mentor Akinwumi Adesina, et la Guinée Bissau de notre proche allié Umaro Sissoco Embaló.
Au lieu de tirer les leçons de ce désaveu, le gouvernement s’enfonce dans des querelles picrocholines et ses valets propagent la haine et la vulgarité vis-à -vis d’un ancien président de la République, qui a eu l’élégance de prendre du champ pour les laisser dérouler leur politique.
Notre pays progressivement, et ceci depuis le 2 avril 2024, perd un leadership construit sur plusieurs décennies au niveau continental. Les efforts des douze dernières années pour faire de Dakar une plateforme de la diplomatie internationale sont remisés pour flatter une base militante radicalisée et des reliques du passé dont le moteur est le bruit et la fureur dans la négation du progrès.
Amadou Hott, dont la candidature ne me semblait pas outre mesure indispensable, a perdu pour plusieurs raisons qu’il faut savoir analyser lucidement et froidement pour en tirer les leçons afin de remporter des victoires futures. La rengaine souverainiste et anti-impérialiste des tenants du régime inquiète nos partenaires, qui avaient l’habitude, avec le Sénégal, d’un pays sérieux et crédible, assis sur un socle de valeurs mais soucieux de l’art très senghorien du « compromis dynamique ». Il s’y ajoute les palinodies sur le Franc CFA que ne justifient rien d’autre qu’un populisme morbide et une volonté d’être à la remorque de militants et qui ne sont pas de nature à rassurer nos partenaires régionaux comme la Côte d’Ivoire, principal soutien du candidat Ould Tah. Les efforts colossaux du Premier ministre pour plaire aux putschistes de l’AES – qui ont malgré tout tous voté contre Amadou Hott – ne rassurent guère sur l’ancrage du Sénégal dans la promotion de la démocratie, des libertés et de l’intégration régionale.
Est-il seulement nécessaire de revenir aux accusations scabreuses de maquillage de chiffres à l’encontre du précédent régime, dans lequel Amadou Hott a servi comme DG du Fonsis puis ministre de l’Économie ? Qui peut en vouloir aux actionnaires de la BAD de refuser de confier les clés du coffre à un homme accusé par son propre gouvernement de faire partie d’un « gang » de « falsificateurs » et de « maquilleurs » de finances publiques ?
Au lieu d’observer lucidement le cours de l’histoire que notre pays est en train de manquer, le régime verse dans la manipulation fantaisiste et les déclarations populistes. Mais concrètement, plus d’un an plus tard, quel est le bilan de la diplomatie sénégalaise en termes de gains politiques ou d’attrait d’investissements économiques ? Le régime tente vainement un rapprochement avec des juntes illégitimes qui ont fait sécession de la CEDEAO. Il a vendangé la crédibilité de la signature du Sénégal et provoqué plusieurs abaissements de sa note souveraine. La médiation CEDEAO- AES a été retirée diplomatiquement pour être confiée au nouveau président ghanéen. Le Sénégal a perdu le rôle central qu’il jouait dans la crise russo-ukrainienne. Devant le terrible drame humanitaire en cours à Gaza, le Sénégal qui préside le Comité pour l’exercice des droits inaliénables du peuple palestinien se dérobe et refuse d’assumer rôle historique auprès des Palestiniens, tout en conservant des relations avec Israël en vue d’arriver à la seule solution envisageable de deux États vivant côte-à -côte dans des frontières sures et reconnues.
Les efforts de Dakar pour défendre et promouvoir la configuration d’une nouvelle gouvernance financière mondiale sont abandonnés. Quid des suites réservées au « consensus de Dakar », adopté sous Macky Sall, sur la gouvernance financière mondiale, la dette africaine et le rôle de l’Afrique comme locomotive de la croissance mondiale. Sur le plan sécuritaire, le danger de l’hydre terroriste s’approche de nos frontières. Dans un rapport très fouillé, le chercheur Bakary Samb documente des attaques au Mali, à proximité de nos frontières, dont une à 35 km de Bakel. Dans ce contexte où nous avons besoin de plus de mutualisation des capacités de réaction et de projection, le Premier ministre critique ouvertement la CEDEAO dans un pays dont le gouvernement a décidé de sortir de l’organisation afin de ne pas respecter ses engagements en matière de transition. Pire, à travers une déclaration grave, il érige une chaîne d’équivalence entre l’élection démocratique et le putsch militaire. Or, dans un contexte où le tout sécuritaire n’est guère une solution viable face aux groupes armés terroristes, Dakar devrait assurer le leadership d’une diplomatie régionale coordonnée et efficiente en matière de promotion de la paix et de la stabilité .
L’incompétence et l’infertilité intellectuelle, quand elles irriguent une gouvernance populiste, constituent un danger pour la souveraineté nationale et le prestige de l’État. Quand l’incompétence et la négligence vis-à -vis de l’histoire gouvernent, le résultat ne peut être que l’abaissement puis le discrédit de l’État. Comme ce qui les caractérise, c’est la vulgarité en mouvement et l’incompétence en bande organisée, ils versent dans le vide conceptuel pour en extirper des mots vaseux et sans aucun ancrage dans le réel. Sur l’isolement de notre pays sur la scène internationale, ils évoquent une diplomatie de la « souveraineté » et du « panafricanisme » conformément au « Projet ». Imposture ! Depuis 1960, le Sénégal a conçu sa politique étrangère dans une cohérence absolue, qui sacralise les vertus de la souveraineté et du panafricanisme. En effet, la première valeur fondatrice de la diplomatie sénégalaise est la règle du bon voisinage dans le respect strict de la souveraineté nationale et de l’intégrité du territoire. C’est dans ce cadre que le Président Sall a fait du renforcement des relations avec nos voisins immédiats un objectif crucial de son premier mandat. Le pont Sénégambie, les vaccins mis à la disposition de Banjul et Bissau, l’exploitation conjointe des gisements de GTA/Ahmeyim en sont des preuves irréfutables. Ensuite, arrive la promotion de la paix et de la sécurité internationales, conformément à l’article premier de la Charte de l’ONU. Le Sénégal sous Macky Sall a siégé au Conseil de sécurité de l’ONU. Notre pays, avec l’ambassadeur Fodé Seck a présidé le Conseil de Sécurité en novembre 2016, et y a inscrit le thème « Eau et paix et sécurité » débattu publiquement ; ceci dans un contexte de tension sur la ressource du fait des changements climatiques. Aussi, Dakar a joué un rôle de premier plan dès l’éclatement de la guerre russo-ukrainienne, et le Président Sall, président de l’UA a promu le principe de neutralité stratégique. C’est grâce à son leadership que l’Afrique a obtenu un siège de membre au G20, afin d’être au cœur des grands enjeux de la gouvernance politique et économique internationale.
La poursuite de l’idéal de réalisation de l’unité africaine est aussi un pilier de notre politique étrangère. C’est le Sénégal, sous Wade, qui a accueilli des étudiants haïtiens après le terrible séisme de 2010. C’est Dakar qui a obtenu que la Diaspora soit considérée comme 6ème région par l’UA. Le panafricanisme, ce n’est pas une photo de Thomas Sankara opportunément posée derrière soi lors de live Facebook et qui disparaît sitôt le pouvoir acquis. Le panafricanisme, c’est propulser l’Afrique partout où les décisions qui gouvernent le monde se tiennent : au G20, à Berlin, à Washington et partout ailleurs où les relations internationales se tissent et où les grandes victoires s’obtiennent dans le travail, la discrétion et la sobriété. Le panafricanisme, c’est enfin un combat acharné pour réformer les règles du jeu économique international afin de permettre à l’Afrique de disposer des mêmes opportunités que les autres continents pour relever les défis du progrès économique et social.
Enfin, le dernier pilier de notre politique étrangère est la promotion partout des droits humains et des libertés fondamentales. Et sous ce rapport, au regard de notre histoire, le Sénégal ne se range jamais derrière des putschistes mais s’honore de promouvoir la conquête et l’exercice démocratique du pouvoir en Afrique.
Le désordre, l’agitation stérile, les injures égayent certes la masse informe des réseaux sociaux mais ne confèrent aucun gain significatif sur la scène internationale. Gouverner est un exercice sérieux et grave. Il exige le droit d’espérer et le devoir d’essayer, mais surtout il demande l’audace d’agir. Le pouvoir n’est pas une station de lamentation ou de distribution de propos orduriers. Il s’agit d’un espace symbolique de pensée et d’action au service des siens et de quelque chose qui nous dépasse et nous surpasse : je l’appelle la patrie républicaine.
Hamidou Anne
Membre du SEN de l’APR
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Senegal7
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