Tout ce qui arrivait au Sénégal à la fin du règne négativement et moralement historique de l’ancien régime se répète sous nos yeux, à peine quinze mois après le changement difficilement réalisé, au vu du monde entier.
Des chercheurs, étudiants, professeurs, avocats, juristes, constitutionnalistes, sociologues, politologues, universitaires, écrivains, journalistes, rappeurs, activistes, citoyens sénégalais lambdas d’ici et d’ailleurs s’étaient levés avec courage et détermination pour dénoncer avec véhémence parfois même en collectifs, l’injustice et l’hyperprésidentialisme, à travers des tribunes, des pétitions, des manifestations.
Où sont ces mêmes Sénégalais épris de justice, qui avaient réveillé un élan de solidarité panafricaniste international ayant permis à plusieurs camarades du monde entier de nous soutenir face au combat historique pour le changement du Sénégal ? «Causa effectus», les mêmes causes produisent les mêmes effets aujourd’hui, avec le pouvoir du Président Bassirou Diomaye Faye, qui lui-même avait dénoncé la posture de certains magistrats, ce qui lui avait valu la prison.
Pour rappel, Sidy Alpha Ndiaye aujourd’hui, ministre‑conseiller juridique et directeur de cabinet adjoint du Président de la République déclarait face au report de l’élection présidentielle de 2024 et aux accusations de corruption de membres du conseil constitutionnel:
« Justement, revenons sur cette commission parlementaire, créée le 31 janvier, chargée d’enquêter sur des soupçons de corruption à l’encontre de deux juges du Conseil constitutionnel, ainsi que du Premier ministre et candidat de la majorité présidentielle.
Quel est son rôle ? Dans une démocratie, créer une commission est un acte normal. Mais créer une commission sans début de preuves, pour entendre des juges qui ne peuvent pas être entendus par l’Assemblée nationale, à quoi cela sert-il ?
L’un des juges accusés a déposé une plainte pour diffamation, mais le procureur n’a pas instruit l’affaire. S’il l’avait fait, la commission n’aurait plus de raison d’être, car elle aurait cessé toute activité en cas d’ouverture d’une enquête judiciaire. La plainte n’a donc pas été retenue pour donner l’opportunité à la commission d’exister. Il y a manifestement un problème. Finalement, quelles sont les marges de manœuvre de la commission ? Que peut-elle faire ? L’Assemblée nationale n’a aucun droit juridique pour démettre un juge de ses fonctions. La raison d’existence de la commission est atteinte avant même qu’elle ne produise un rapport, car, comme je le disais, la commission n’a en réalité été installée que pour créer un simulacre de crise institutionnelle et servir de prétexte au président pour opérer son coup d’État.
En effet, elle doit rendre ses travaux dans un délai de trois à six mois, donc bien après les élections. D’autant que son enquête n’a aucune valeur juridique : elle va donner son rapport au bureau de l’Assemblée nationale, puis ce sera terminé. Il appartiendra ensuite au pouvoir judiciaire de continuer. Quand bien même la crise aurait existé, la commission ne peut pas déboucher sur un report des élections par le président, car seul le Conseil constitutionnel en a la prérogative. »
Sans le vouloir ou y prêter attention peut-être, il avait souligné la faiblesse du pouvoir parlementaire sénégalais face aux pouvoirs judiciaire et de l’exécutif. Sidy Alpha Ndiaye était allé jusqu’à se poser des questions fondamentales : « Est-ce que le Sénégal va s’enliser dans cette forme de dérive autoritaire ? Est-ce qu’il y aura assez de bon sens pour revenir à l’orthodoxie institutionnelle ? Est-ce que le peuple va accepter ce tripatouillage institutionnel ? »
Du côté de la société civile, Birahim Seck, coordonnateur du Forum civil, section de Transparency International, disait face à l’accusation de corruption de certains membres du Conseil constitutionnel soutenu par leurs collègues magistrats de l’UMS: « Le principe de la séparation des pouvoirs soulevé par l’Union des magistrats sénégalais (UMS) ne suffit pas pour refuser que des membres du Conseil constitutionnel soient entendus par une commission d’enquête parlementaire. » Selon Birahim Seck, si les magistrats peuvent entendre des membres de l’Assemblée nationale et de l’exécutif, la réciprocité devrait être de mise dans une démocratie. Enfin, disait-il, « si les magistrats veulent dessaisir l’Assemblée nationale, ils savent quoi faire. »
À ce moment-là , l’union des magistrats du Sénégal était dans une contre-offensive corporatiste, comme chez nous les journalistes parfois.
Un collectif de la société civile sénégalaise avait lancé un appel à une mobilisation massive contre le report de l’élection présidentielle qui devait se tenir le 25 février 2025. « Nous invitons tous les citoyens concernés par la préservation des acquis démocratiques à se mobiliser massivement partout dans le pays et dans la diaspora pour empêcher cette confiscation du pouvoir », lisait-on dans la plateforme Aar Sunu Élection, avec l’agrégation d’une quarantaine de groupes citoyens, religieux et d’organisations professionnelles, dont plusieurs syndicats de l’éducation. Ce que nous retenons aussi de leur message, c’est : « confiscation du pouvoir ». Sans le nommer également, ils dénonçaient l’hyperprésidentialisme et l’injustice.
Mohamed Lamine Manga, enseignant-chercheur en histoire moderne et contemporaine à l’Université Assane Seck de Ziguinchor, avait publié en 2020 un ouvrage intitulé Gouvernance et luttes d’influences politiques au Sénégal, 1960‑2000. Il y démontrait les fondements du présidentialisme sous Senghor et Diouf, dénonçant déjà une concentration du pouvoir au sommet de l’État.
Ailleurs, Mamadou Sy Albert, analyste politique et politologue sénégalais, dont les chroniques sont bien connues, avait écrit un ouvrage intitulé Comment sortir des crises du présidentialisme importé ? Dans cet ouvrage, l’auteur proposait des pistes de réflexion approfondies sur les dérives du modèle présidentiel sénégalais hérité de l’ère coloniale, en interrogeant ses impacts sur la démocratie et la gouvernance. Il constituait une réponse critique aux crises institutionnelles récurrentes.
Enfin, l’expert électoraliste, Ndiaga Sylla disait: «Il revient à l’ensemble des acteurs, au Chef de l’Etat en particulier, de promouvoir, comme le proclame la Constitution dans son préambule, « le respect et la consolidation d’un Etat de droit dans lequel l’Etat et les citoyens sont soumis aux mêmes normes juridiques sous le contrôle d’une justice indépendante et impartiale», dans sa déclaration du 4 février 2024.
Qu’est-ce qui a changé entre-temps ?
Avons-nous choisi la malhonnêteté intellectuelle à l’honnêteté intellectuelle ? La cohérence à l’incohérence ? Ou le décret présidentiel de Sall à celui de Faye ?
L’influence néocolonialiste, qui était plus que présente avec leurs acolytes sénégalais, était prête à tout pour imposer leur candidat afin de protéger leurs intérêts économiques et de maintenir le Sénégal dans leur rang. Ils voulaient ainsi éviter la renégociation des contrats sur nos ressources extractives en cours, le départ de leurs forces militaires de nos territoires, l’ouverture d’enquêtes historiques sur les massacres de Thiaroye, entre autres actions fortes, symboliques, panafricanistes et souverainistes promises durant la campagne électorale par l’actuel président Bassirou Diomaye Faye avec son balaie et son Premier ministre Ousmane Sonko. Et ce premier ayant déclaré récemment vouloir de lui un Premier ministre fort, et ayant même dit qu’il pouvait lorgner son fauteuil présidentiel s’il le souhaitait.
Pour ne citer que ceux-là , en tant que journaliste d’alerte et de veille, nous sommes tenus de rappeler l’histoire récente par souci de constance et de cohérence afin que nul ne l’oublie.
Il est d’autant plus nécessaire de rappeler les conditions qui ont changé ce pays avec l’actuel Premier ministre, Ousmane Sonko, qui fut le plus radical des opposants, doublé d’une casquette de stratège, et qui avait finalement publié des vidéos pour appeler à voter pour son frère Bassirou Diomaye Faye, son second, devenu aujourd’hui notre président. Avant d’en arriver là , toutes les alertes possibles avaient été données pour faire reculer Macky Sall, mais en vain.
Le peuple était alors décidé, malgré l’emprisonnement d’Ousmane Sonko et ses militants, à le faire sortir pour le conduire directement au palais. Raison pour laquelle sa sortie médiatique, après leur libération, avait choqué plus d’un qui ont osé le dire.
Mais aujourd’hui, avec le temps, il est clair que causa effectus, quand on est seul dans un combat, face à de plus forts, trahi par tout le monde, ses réactions ne peuvent être que divines, si nous avons la foi et une raison impénétrables.
Alors, si tous ces faits se répètent avec un nouveau gouvernement, c’est que nous n’avons pas appris les leçons du passé. C’est que nous ne cherchions pas un changement ni une rupture, mais un profit opportuniste. C’est que nous ne nous battions pas pour le Sénégal, mais pour nous-mêmes ou pour la jouissance. Car nous avons la possibilité de changer les choses, avec une élection présidentielle à 54,20 % et des élections législatives à 54 %, avec 130 députés sur 165.
Revenons à la foi et à la raison.
Zaynab Sangarè, Journaliste d’investigation indépendante
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