Touba, ville sainte et cœur spirituel du mouridisme, se transforme chaque saison des pluies en un théâtre d’horreur prévisible : maisons inondées, commerces noyés, écoles fermées, populations déplacées. Face à ce chaos récurrent, l’attitude des autorités publiques relève moins d’une incapacité technique que d’un immobilisme politique assumé — un choix lourd de conséquences pour des milliers de citoyennes et citoyens.

Un désastre annoncé — et toléré

Les inondations à Touba ne tombent pas du ciel comme un fait imprévisible. Elles résultent d’un enchaînement de causes connues : urbanisation rapide et non maîtrisée, construction dans des zones basses et inondables, absence de réseaux de drainage adaptés, et manque d’entretien des infrastructures existantes. Pourtant, année après année, l’État multiplie les discours compassionnels et les opérations de communication sans transformer les promesses en mesures pérennes. À force de privilégier le spectacle politique aux politiques publiques, les responsables font le pari cynique que la mémoire collective s’effacera d’ici la prochaine saison des pluies.

Quand la gestion de crise remplace la prévention

Le mode opératoire officiel est désormais routinier : photos, visites ministérielles, promesses de fonds « d’urgence », distribution d’aide immédiate — puis rien. Cette logique d’aléa permanent signifie que l’argent public est souvent consommé pour réparer les symptômes plutôt que pour abolir les causes. Construire des digues temporaires et pomper l’eau ponctuellement coûte cher et n’empêche en rien que, quelques mois plus tard, les mêmes quartiers replongent dans la détresse. C’est une politique de pansements successifs appliquée à une blessure ouverte.

Transparence et reddition de comptes : des mots vides

L’un des aspects les plus scandaleux de cette crise est l’opacité qui entoure l’allocation et l’exécution des budgets censés prévenir ou atténuer les inondations. Quelles sommes ont été réellement consacrées aux infrastructures de drainage et au foncier à Touba ? Quels appels d’offres, quels diagnostics hydrologiques ont été menés ? En l’absence de mécanismes crédibles d’audit indépendant et de participation citoyenne, il est légitime que la population suspecte le détournement d’efforts et de ressources — ou, au minimum, une grave incompétence administrative.

Le silence complice des autorités locales et nationales

La gouvernance de Touba se heurte à un double défaut : d’un côté, un État central qui externalise la responsabilité sans fournir les moyens d’action ; de l’autre, des autorités locales trop souvent incapables de s’imposer face aux logiques foncières informelles et aux intérêts particuliers. Ce double jeu laisse la population entre deux eaux — littéralement — et fragilise la confiance démocratique. L’absence d’un plan directeur clair pour l’urbanisme et l’assainissement de Touba est révélatrice d’un choix politique : maintenir le statu quo plutôt que d’engager des réformes potentiellement coûteuses politiquement mais nécessaires socialement.

Les victimes ne sont pas des statistiques

Derrière les chiffres et les communiqués se trouvent des vies détruites : familles qui perdent tout, enfants privés d’école, agriculteurs et petits commerçants ruinés. L’immobilisme de l’État n’est pas seulement une défaillance administrative ; c’est une violence sociale qui frappe disproportionnellement les populations les plus vulnérables. Laisser des quartiers s’enfoncer sous l’eau, saison après saison, équivaut à accepter une injustice structurelle.

Ce que l’on doit exiger maintenant

La gravité de la situation commande des réponses claires et non des formules creuses :

1. Transparence immédiate : publication détaillée des budgets alloués aux projets anti-inondation, des contrats, et des rapports d’exécution.

2. Plan d’urgence convertible en plan durable : passage d’actions ponctuelles (pompages, secours) à des investissements structurants (drainage intégré, restauration hydraulique, requalification des zones inondables).

3. Redevabilité politique : audits indépendants et sanctions administratives pour les dysfonctionnements avérés.

4. Participation citoyenne : inclusion des communautés locales et des autorités religieuses de Touba dans la conception et le suivi des projets.

5. Prévention : contrôle strict des permis de construire et relocalisation planifiée des zones à risque lorsque cela est nécessaire et socialement viable.

Conclusion

L’État sénégalais est à la croisée des chemins : continuer à gérer les inondations comme une série d’incidents isolés, c’est prolonger le cycle d’abandon et d’indignité pour les populations de Touba ; choisir la réforme, la transparence et l’investissement durable, c’est enfin respecter la dignité et la sécurité de ses citoyens. Les vagues qui submergent Touba ne sont pas les seules responsables des dégâts — il faut nommer l’autre source, tout aussi dangereuse : l’immobilisme, qui tue à petit feu la confiance publique et le droit à une vie décente.

Dr Cheikhabdou Lahad MBACKE

University of Maryland

School of Public Policy

Mbacke23@gmail.com

Auteur: Dr Cheikhabdou Lahad MBACKE
Publié le: Vendredi 03 Octobre 2025

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